Espèces envahissantes

I. GÉNÉRALITÉS ET DÉFINITIONS

La réflexion face à la perte de la biodiversité à l’échelle planétaire a révélé que les espèces exogènes envahissantes (EEE) en sont la seconde cause, après la destruction des milieux naturels, ces deux éléments étant liés. En réponse à cette problématique mondiale, de nombreux programmes et stratégies de lutte ont été mis en place    :  Convention sur la Diversité Biologique (CDB) ;  Stratégie Globale sur les Espèces Exotiques Envahissantes publiée par le GISP (Global Invasive Species Programme de l’UICN) ; Stratégie européenne relative aux espèces exotiques envahissantes ; Stratégie nationale du ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie (MEDDE), en France.

Plus spécifiquement, la Fédération des Conservatoires Botaniques Nationaux (FCBN) est le coordinateur technique pour la flore de la stratégie de lutte contre les EEE du MEDDE.

Le CONSERVATOIRE BOTANIQUE DE MARTINIQUE  (CBMQ a traité ce sujet en 2005, dans le Lobelia N°2.

D’une façon générale, les invasions biologiques endogènes naturelles (à la zone biogéographique) sont les processus de la construction et de l’évolution des écosystèmes. Ces invasions naturelles permettent la colonisation végétale originelle des îles, à partir des continents plus anciens et déjà couverts de végétation. Dans les écosystèmes forestiers, ces phénomènes naturels président à la cicatrisation  des chablis, à partir de semenciers parfois éloignés.  Les introductions exogènes d’origine anthropique, quelles soient accidentelles ou volontaires, ne s’inscrivent pas dans ces processus évolutifs naturels.

Une espèce est qualifiée d’exogène  (d’allochtone ou d’exotique) quand elle n’est pas dans son aire de répartition naturelle et de dissémination potentielle.

L’espèce est indigène ou autochtone d’une région géographique quand elle fait partie de la flore originelle de cette région.

Une espèce exogène est dite envahissante quand, après avoir été introduite puis naturalisée (elle se reproduit alors dans la nature), elle pullule dans le milieu d’accueil et y engendre des perturbations (modifications : de la disponibilité en eau et de l’énergie lumineuse, du fonctionnement biologique du sol, …).

Une espèce envahissante devient « une peste végétale » quand les modifications majeures que sa prolifération excessive induit sur le milieu d’accueil, ne permettent plus aux espèces indigènes de s’y maintenir ou de s’y installer. Dès lors, l’existence des populations des espèces indigènes, surtout les endémiques (y compris leurs variétés),  et plus largement celle de la biodiversité indigène (écosystèmes, paysages), sont menacées.

Selon williamson (1996)  une espèce exogène sur 1000 présente un risque de devenir une espèce envahissante. Différents facteurs interviennent dans ce processus complexe,  en particulier :

– La capacité d’une espèce exogène à modifier son mode de vie et à développer une stratégie colonisatrice agressive.

– Le temps de  latence avant l’expression de cette agression.

– Le degré d’intégrité des milieux qui sont d’autant plus vulnérables qu’ils sont dégradés et perturbés (par des prélèvements, des  trouées, des sentiers ou des fragmentations).

 

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La capacité d’invasion des espèces exogènes est d’autant plus faible  que les écosystèmes sont proches de leur état originel, ceci grâce aux  complexes verrous écologiques qui se sont mis en place au fil du temps (par exemple l’activité des micro-organismes et des insectes qui régulent les expansions, …).

Afin de préserver l’intégrité des milieux proches de leur état écosystémique optimal,  il est donc nécessaire de limiter à l’indispensable les aménagements et les perturbations de ces milieux.

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II. LES ILES TROPICALES

 

 

Les îles tropicales sont particulièrement vulnérables face aux dangers que représentent les espèces exogènes envahissantes, principalement  parce que :

  • La diversité des conditions de vie est propice à de nombreuses formes biologiques (épiphylles, épiphytes, multiplication végétative,…). En plus, dans les îles jeunes, les niches écologiques sont moins saturées.
  • La diversité des écosystèmes s’exprime sur un espace limité : certains milieux naturels sont à la fois exigus et uniques (la redondance est quasi absente) ; leur disparition conduit donc fatalement à la disparition des  espèces qui  leur sont inféodées.
  • Les catastrophes naturelles qui frappent régulièrement ces îles favorisent les disséminations et aggravent les dégradations  des milieux naturels déjà perturbés.

Cette vulnérabilité des îles tropicales sera malheureusement amplifiée par les effets du réchauffement climatique. 

 

La liste des 100 espèces exotiques envahissantes parmi les plus néfastes au monde  a été publiée par Invasive Species Specialist Group (ISSG/ IUCN), et beaucoup d‘entre elles sont des espèces végétales tropicales. Par exemple Lantana camara L. VERBENACEAE arbuste originaire d’Amérique tropicale, qui a été diffusé comme plante ornementale partout dans le monde. Aujourd’hui il est envahissant, voire même une peste végétale,  dans plusieurs régions du globe (Afrique, Australie, Inde, Nouvelle Calédonie, Ile de la Réunion).

Compte tenu de l’importance et de la gravité du sujet,  une initiative sur les espèces exotiques envahissantes est menée depuis 2005 par le Comité Français de l’UICN   dans chacune des collectivités françaises d’outre-mer. Cette initiative est menée avec l’appui du Ministère de l’Ecologie, en collaboration avec la Fédération des CBN.

 

Deux exemples de catastrophes tristement célèbres——- 

 Miconia calvescens DC. MELASTOMACEAE, arbuste ornemental originaire d’Amérique tropicale,

qui fait des ravages à Tahiti.

– Eichhornia crassipes (Mart.) Solms PONTEDERIACEAE «Jacinthe d’eau», herbacée ornementale originaire d’Amérique tropicale, considérée comme une des pires mauvaises herbes au monde,

particulièrement en Afrique.

 

 

 

III. LA MARTINIQUE

Au centre de l’archipel des Petites Antilles, la Martinique  possède une forte biodiversité, caractérisée entre autres par son taux d’endémisme (la flore). Aujourd’hui l’impact anthropique a grandement fragilisé les milieux naturels. L’île fait partie d’un des 34 « hot spots » de la planète, territoires définis à la fois par leur forte biodiversité mais aussi par leur grande vulnérabilité.

L’édification de la Martinique étant postérieure aux continents américains et aux Grandes Antilles, la végétation originelle de l‘île s’est constituée par dissémination biologique naturelle, à partir de  la flore de ces territoires voisins (Grands Antilles, Amérique centrale, Amérique du sud).

Les premières importations d’espèces végétales datent de la colonisation de l’archipel  par les Amérindiens en provenance de l’Amérique du Sud, il y a environ 4 000 ans. Exemples : Ananas comosus (L.) Merr. BROMELIACEAE «Ananas»;  Ischnosiphon arouma (Aubl.) Körnicke MARANTACEAE «Arouma»; Maranta arundinacea L. MARANTACEAE «Envè caraïbe»; Manhiot esculenta Crantz EUPHORBIACEAE «Manioc».

La colonisation européenne qui suivit l’arrivée de Christophe COLOMB dans la Caraïbe en 1492 fut accompagnée de nombreuses importations destinées à l’alimentation, l’artisanat, l’élevage, l’industrie ou l’ornement en provenance surtout d’Asie,  d’Afrique, et de Polynésie.  Exemples : Artocarpus altilis (Parkinson) Fosb. MORACEAE «Arbre à pain»;  Musa sp. MUSACEAE «Bananier»; Coffea arabica L. RUBIACEAE «Café»; Colocasia esculenta (L.) Schott ARACEAE «Dachin».

 

Ces importations ont augmenté au fil du temps, et aujourd’hui plus de la moitié des végétaux présents dans l’île sont  exogènes. Exemples : Delonix regia (Bojer ex Hook.) Raf. CAESALPINIACEAE «Flamboyant»;   Terminalia catappa L. COMBRETACEAE «Amandier pays». Beaucoup de ces espèces exogènes se reproduisent maintenant dans la nature ; elles sont naturalisées et certaines sont difficiles à éliminer (par exemple Bambusa vulgaris  Schrad. ex Wendl. POACEAE «Bambou»).

Tous les milieux sont concernés par les espèces exogènes. En Martinique, un inventaire des plantes  dulçaquicoles exotiques envahissantes a été établi par la DEAL et la Société d’Histoire Naturelle L’Hermier (SHNLH) en début d’année 2014. L’objectif était de dresser un bilan de l’envahissement des écosystèmes aquatiques de Martinique et de préciser la répartition des plantes dulçaquicoles exotiques envahissantes.

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Parmi les espèces introduites, les espèces ornementales sont les plus nombreuses. En 2009, sur les 214 taxons de plantes ornementales cultivés pour la vente et recensés dans les pépinières de l’île, 116 étaient allochtones  [SORMAIN  (2008) ; FLERIAG (2009) ; SAINT- AIME (2009)].

Ces espèces ornementales sont potentiellement envahissantes, car elles sont sélectionnées : pour leur attrait qui  favorise leur commerce et donc leur dissémination anthropique sur le territoire ; mais aussi pour leur facilité de culture ainsi que leur résistance aux pathologies.  En général ces espèces sont des espèces de lumières qui s’échappent donc fréquemment des jardins.

La première conséquence  est une perte de l’authenticité et de l’originalité de nos  paysages, au profit  de clichés pantropicaux. En effet  sur la majorité des cartes postales, aucune référence végétale ne permet de reconnaître la Martiniqueen tant qu’île des Petites Antilles : «Cocotiers», «Flamboyants», «Amandiers pays», « Rose de Porcelaine », «Lavande rouge», «Red-Ginger» ou «Palmiers de Floride» étant cultivés partout sous les tropiques, seul le relief permet alors de se situer.

 

 

 

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Actuellement, bien que la Martinique ne connaisse pas encore de catastrophe comparable à celles causées ailleurs  par Miconia calvescens ou Eichhornia crassipes, certaines  espèces allochtones ont des comportements inquiétants.

 

 

 

 

Spathodea campanulata  Beauv. BIGNONIACEAE «Tulipier du Gabon», arbre importé d’Afrique pour ces fleurs spectaculaires, a été très largement planté dans l’île pour l’ornement public et privé. Doté d’une grande amplitude et d’une grande tolérance écologiques,  ainsi que d’une croissance rapide, il peut devenir envahissant. Cet arbre est déjà une peste végétale dans l’île voisine de Porto Rico ; la logique dicte de ne plus le planter et de détruire au moins les populations proches des espaces naturels.

 

 

 

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Bambusa vulgaris  Schrad. ex Wendl. POACEAE «Bambou», herbe haute aux nombreux usages artisanaux, a été importée  d’Asie.  Sa multiplication par rejets et sa croissance très rapide lui permettent de coloniser aussi bien les trouées de forêt humide et moyennement humide  que les crêtes, les flancs de ravines et les bords de rivières.   Son système racinaire fait barrage à l’installation des autres espèces, bloquant ainsi la dynamique végétale. Sa substitution aux cortèges indigènes et sa longévité sont problématiques surtout en bordure des rivières où,  couché par la montée des eaux, il aggrave les crues et l’érosion qui en découle.

 

 

 

Triphasia trifolia (Burm.f.) P. Wilson RUTACEAE «Petite Citronnelle». C’est aussi un arbuste originaire d’Asie, importé pour l’ornement. Aujourd’hui elle forme des peuplements dont la densité et la progression augmentent constamment,  dans les stades dynamiques jeunes des forêts des zones moyennement humides d’horizon inférieur. Son feuillage dense forme des filtres et les semences des autres espèces ne peuvent atteindre le sol pour y germer.

 

 

 

Deux espèces d’arbres, introduites pour des essais d’industrie du caoutchouc, se sont naturalisées et se propagent aujourd’hui, bien loin des lieux des premières plantations. 

Castilla elastica Sessé MORACEAE reconnaissable à ses rameaux plagiotropes portant de longues feuilles acuminées et veloutées, de par sa capacité à se reproduire dans les milieux moyennement humides ainsi que dans des conditions d’ensoleillement variables, peut se révéler potentiellement envahissant et est, à ce titre, sous observation.

 

 

 

Funtumia elastica (P. Preuss) Stapf APOCYNACEAE, originaire d’Afrique, longtemps cantonné aux zones dégradées des forêts humides et moyennement humides du centre de l’île, présente de fortes potentialités d’invasion territoriale, principalement par ses fruits qui libèrent de nombreuses graines anémochores ayant une assez forte aptitude à la germination. L’espèce est naturalisée et présente aujourd’hui une menace sérieuse d’invasion aussi bien dans les forêts humides que moyennement humides. [FLERIAG,(2010)]

 

 

 

 

 

IV. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

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