II. DIVERSITE DE MILIEUX / DIVERSITE D’ECOSYSTEMES

II. DIVERSITE DE MILIEUX / DIVERSITE D’ECOSYSTEMES
—-La potentialité originelle de la végétation de l’île est essentiellement forestière, hormis quelques types de végétation spécifiques inféodés à des configurations particulières :

  • Le littoral avec ses plages sableuses ou rocheuses, ses falaises, ses zones marécageuses ou inondées. La végétation est adaptée à ces substrats particuliers, aux embruns, à la salinité ainsi qu’aux mouvements de la mer parfois dévastateurs (par exemple la mangrove).
  • Les reliefs extrêmes : falaises, crêtes très étroites, versants abrupts. Les végétaux s’accommodent de la déclivité,  des vents  et des sols minces.
  • Les hauts sommets – Les végétaux qui s’y installent résistent aux contraintes :  des sols peu épais, des vents constants et intenses, de la pluviosité élevée, de la nébulosité presque permanente et de l’humidité très forte.

————-Les reliefs extrêmes ainsi que les hauts sommets constituent, du fait de leur inaccessibilité, des lieux de refuges privilégiés pour la flore (et la faune) qui supportent ces conditions.

 

 

A. Forêts originelles de la Martinique

1. Types forestiers

Trois principaux types forestiers peuvent schématiquement être définis ; ils correspondent à des catégories de conditions bioclimatiques. Ces différents types forestiers ont une dynamique complexe. Les recherches modernes dans ce domaine ont débuté avec QUENTIN (1937), STHELE (1945) et BEARD (1959), suivies des travaux de PORTECOP (1978).

FIARD (1994) a caractérisé les types forestiers de la Martinique en définissant leurs potentialités originelles ainsi que leurs groupements prépondérants successifs. JOSEPH  (1997 ; 2008) a plus particulièrement explicité les différents processus qui régissent la dynamique extrêmement complexe de ces écosystèmes forestiers.

La terminologie (augmentée) utilisée est celle de l’UNESCO (1973) [FIARD (1994), JOSEPH  (1997 ; 2008)]. La terminologie de STEHLE et de PORTECOP est indiquée entre parenthèses.  Une comparaison de ces nomenclatures et classifications a été faite par FIARD (1994) qui a notamment démontré  le caractère singulier des forêts de montagne dans les Petites Antilles, mais aussi que la forêt sèche (forêt décidue en saison sèche tropicale de l’UNESCO) n’existe pas dans notre île, (Tableau comparatif des nomenclatures). JOSEPH  (1997 ; 2008) a complété les descriptions des types forestiers originels et a démontré l’importance de la potentialité ainsi que des stades dynamiques pour mieux caractériser ces types forestiers. Compte tenu de tous ces travaux, il apparaît qu’avant la colonisation européenne,  la Martinique était couverte d’épaisses forêts qui s’étendaient depuis les massifs montagneux jusqu’aux rivages. La carte de la végétation potentielle.

 

– La forêt sempervirente* saisonnière tropicale (forêt mésophile) : la forêt qui s’installe dans des conditions moyennes, avec une pluviosité annuelle comprise entre 1 000 et 2 000 mm en moyenne. La proportion d’arbres décidus (qui perdent toutes leurs feuilles plus ou moins brusquement durant le «carême») varie en fonction des horizons* et des faciès*. Néanmoins, dans l’horizon type et dans le stade dynamique terminal, la sempervirence de la canopée (strate supérieure, aux alentours de 35/40 mètres de hauteur) est quasi-totale. Les épiphytes* sont peu abondantes et les épiphylles* absentes. Ce type forestier est caractérisé par une forte richesse spécifique arborescente, particulièrement dans la strate inférieure. Cette forêt puissante et dense couvrait initialement la plus grande partie des zones basses et moyennes de l’île (entre 0 et 200 mètres d’altitude environ).

[Sempervirente* : qui est toujours verte, composée d’espèces qui ne perdent pas leurs feuilles à la saison climatique défavorable.]

[Epiphyte* : plante qui se développe sur les parties aériennes d’un végétal ligneux qui lui sert alors de support.]

[Epiphylle* : plante qui se développe sur les feuilles d’un autre végétal.]

 

– La forêt ombrophile* tropicale submontagnarde (forêt hygrophile*) : la forêt de pluie, là où les précipitations annuelles sont comprises entre 2 000 et 5 000 mm, voire davantage. Les arbres prépondérants sont sempervirents, s’élevant en moyenne à 30/35 mètres, certains pouvant atteindre 40 à 50 mètres de haut. De  nombreuses essences possèdent de puissants contreforts*. Les lianes ligneuses, les plantes grimpantes, les épiphytes et les épiphylles sont bien représentées.  La canopée  est continue et moutonnée dans l’ensemble. La strate herbacée, très réduite dans les secteurs les plus stables, est, dans les zones plus ouvertes, riche en espèces d’herbes hautes à larges feuilles (« forbs »). Ce type forestier correspond à un des écosystèmes parmi les plus complexes de la planète et abrite la majorité des espèces arborescentes endémiques. A l’origine, cette forêt était beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui  et descendait très bas (voire jusqu’à la mer, dans certaines vallées du Nord-Atlantique).

[Ombrophile* : qui aime la pluie.]

[Hygrophile* : qui aime l’humidité.]

[Contreforts* : portions aériennes du système racinaire, généralement verticales et  plates, qui relient le tronc aux racines souterraines.]

 

 

 

 

La forêt ombrophile tropicale montagnarde ou forêt ombrophile tropicale de brouillard. Cette forêt s’installe à des altitudes supérieures à celles de la  forêt ombrophile tropicale submontagnarde (forêt hygrophile), dans des conditions difficiles : pluviométrie excessive, air saturé en humidité, pentes extrêmement déclives et instables, vents soutenus permanents, … Les arbres sont peu élevés et tortueux ; les épiphytes sont plus abondantes ; la canopée est discontinue ; la strate inférieure est très dense (palmiers et fougères arborescentes en particulier).

 

 

Les horizons des types forestiers – La répartition des types forestiers suit donc grossièrement celle de la pluviosité, laquelle est fortement liée à l’altitude. L’aire couverte par un type forestier est divisée schématiquement en horizons qui correspondent à des variations pluviométriques : l’horizon inférieur correspond aux plus basses pluviométries ; l’horizon type est celui des pluviométries moyennes ; l’horizon supérieur est rattaché aux pluviométries maximales. Globalement, l’étagement des horizons est parallèle à l’étagement altitudinal (Tableaux 2 et 3).

Des inversions de végétation s’observent parfois,dans des secteurs où le sol et la topographie modifient  l’étagement  des horizons (par modification de la quantité d’eau disponible pour la végétation). Par exemple, dans un massif de forêt hygrophile d’horizon type, les crêtes étroites (drainées, exposées au vent et donc plus sèches) peuvent être couvertes de forêt hygrophile d’horizon inférieur, voire de forêt mésophile d’horizon supérieur,  alors que ces crêtes sont à des altitudes supérieures à celles de l’ensemble du massif. Inversement, dans un massif de forêt mésophile, des zones de forêt hygrophile d’horizon inférieur peuvent se développer dans des fonds de vallées encaissées nettement plus humides (sol plus profond, évaporation et ensoleillement moins importants), quoique à des altitudes plus basses.

 

 

Les écotones sont des zones où deux types forestiers se rejoignent et s’imbriquent ; ils sont remarquables par leur plus grande richesse floristique.

Les faciès En raison d’une variation des facteurs climatiques, topographiques ou édaphiques (aboutissant à des contraintes climatiques singulières), la végétation sera localement spécifique au niveau de sa composition, de sa structure ou de sa physionomie. Par exemples :

– port en drapeau des arbres à cause de vents forts, dans le cas d’un faciès de pente;

– prépondérance d‘espèces supportant de plus faibles précipitations, dans le cas d’un faciès xérique ;

– prépondérance d‘espèces caractéristiques d’une humidité plus forte et peuplements plus vigoureux et plus hauts, dans le cas d’un faciès rivulaire.

 

2. Dynamique des forêts

Les forêts sont dynamiques, et les phases de la succession forestière sont caractérisées par des groupements végétaux spécifiques (groupements prépondérants). Depuis la phase d’installation d’une forêt (phase pionnière) jusqu’à sa phase dynamique terminale (phase climacique), différents groupements prépondérants se succèdent, chacun caractérisé par sa composition floristique et sa structure (Tableaux 2,4a et4b). Chacune de ses étapes dynamiques est caractérisée par des facteurs spécifiques : lumière, température, humidité, interactions faune/flore, interactions entre les espèces végétales, état du sol,….

L’installation d’une espèce végétale, dans un cortège lié à un stade dynamique, dépend des exigences de cette espèce vis-à-vis des conditions écologiques spécifiques associées à ce stade dynamique. L’espèce installée constitue elle-même alors un facteur d’évolution du milieu. Par exemple, les espèces des stades pionniers ne peuvent germer qu’en pleine lumière (espèces héliophiles : qui aiment le soleil), mais leur feuillage procurera une ombre partielle indispensable à la germination des espèces des stades post-pionniers (espèces moins héliophiles). A leur tour, ces dernières contribueront par leur feuillage à la création d’un micro-climat du sous bois (en particulier encore plus sombre)  propice à la germination des espèces des stades terminaux  (espèces plus ou moins sciaphiles*). [Sciaphile* : qui aime l’ombre, qui germe à l’ombre.]

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Le temps nécessaire pour parvenir à un stade climacique à partir d’un stade pionnier est estimé à un millénaire en zones humides, voire à plusieurs millénaires en zones sèches. La dynamique progressive nécessite la proximité de semenciers des différents stades, en particuliers des stades avancés.

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La forêt secondaire est celle qui se reconstitue après la destruction de la forêt primitive : glissement de terrain, prélèvements sélectifs de jeunes tiges ou d’adultes, coupes à blanc (déboisement total),  …. Cette reconstitution est d’autant plus rapide que les alentours de la zone détruite sont à des stades dynamiques avancés et que la surface détruite est petite. Inversement, plus les perturbations auront été profondes (surtout au niveau du sol) et étendues, plus la dynamique de reconstitution est lente ; elle peut même être stoppée et dans ce cas la végétation stagne dans un stade secondaire.

Un massif forestier  peut être constitué de plusieurs types forestiers, présentant individuellement divers horizons et faciès, chacun composé d’unités de stades dynamiques différents. Chaque unité considérée est en évolution constante, et leur juxtaposition conduit à une mosaïque forestière.

B. Paysages actuels de la Martinique

La  carte des paysages actuels de la Martinique montre que l’impact anthropique, à partir de 1635, a grandement fragilisé la couverture forestière : il ne reste  que  26% de forêts dont environ 6% plus ou moins proches du stade climacique. Les types forestiers originels de la Martinique, dans leur phase dynamique terminale, occupent aujourd’hui une surface très restreinte, et nombre des espèces végétales qui y sont inféodées sont rares (les espèces rares et menacées). L’île, située au cœur des Petites Antilles, appartient à l’important  «hot spot»* des îles des Caraïbes. [« hot spots »* : territoires définis à la fois par leur forte biodiversité mais aussi par leur grande vulnérabilité].

Actuellement  on observe un développement important de la forêt mésophile secondaire, dans les zones basses à bioclimat sec. (Tableaux 1 et 2). Cette dernière se distingue de la forêt mésophile originelle principalement par une proportion supérieure d’arbres décidus (à feuilles caduques) ; la canopée est presque totalement défeuillée durant le carême. Les zones concernées ayant subi par le passé un impact anthropique fort et prolongé, la végétation en place de nos jours est très majoritairement secondaire, à des stades dynamiques généralement peu avancés.

Face aux effets du réchauffement climatique, les écosystèmes forestiers des zones moyennement humides de la Martinique risquent très probablement d’évoluer vers des types forestiers encore moins humides.

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Dans une politique de sauvegarde de notre patrimoine végétal, toute perturbation, toute agression supplémentaire  de ces écosystèmes complexes et fragiles doivent absolument être évitées, afin de préserver les conditions leur permettant de se maintenir (microclimats des sous-bois propices aux maturations dynamiques, proximité des semenciers assurant les régénérations, constance des agents pollinisateurs, …).

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