I. LA FLORE AUTOCHTONE

La Martinique est une île d’origine volcanique au centre des Petites Antilles, dans la zone intertropicale Nord : 14°30 N et 61°W. (Carte du Bassin Caraïbe GEODE / UA).

L’émergence de l’arc des Petites Antilles s’est faite après la séparation des continents américains et africain (débutée aux environs de -200 millions d’années), et après la formation des Grandes Antilles (dont le début est situé vers -175 millions d’années). A cette époque, les angiospermes (plantes à fleurs dont les graines sont encloses dans des fruits) dominaient les autres terres déjà émergées.

L’île a été édifiée aux cours de plusieurs épisodes, dans une zone dite de subduction intra océanique (chevauchement des plaques Atlantique et Caraïbe). Cette constitution a été longue et complexe, marquée par des phases d’intense activité volcanique et des périodes d’arrêt. La dernière phase constitutive de la Martinique (dont le début remonte à -300 000 ans environ)  concerne le volcan de la Montagne Pelée. Ce dernier est toujours en activité, comme en témoignent les tristement célèbres nuées ardentes du début du XXème siècle.

«(…) L’arc insulaire des Petites Antilles, double dans sa moitié nord, résulte de la subduction vers l’ouest de la plaque Atlantique sous la plaque Caraïbe à 2 cm/an. Grâce à sa position centrale où les deux branches nord se rejoignent, la Martinique est la seule île des Petites Antilles où l’histoire la plus complète de l’arc affleure. (…) l’Arc Ancien a été actif de 25 à 21 Ma. L’Arc Intermédiaire s’est ensuite mis en place en milieu sous-marin puis subaérien entre 16 et 7 Ma. (…)  l’activité volcanique s’est déplacée vers l’ouest avec la mise en place de petits volcans monogéniques, alignés le long de failles, entre 3 Ma et 340 ka. (…) le compartiment septentrional s’est édifié au niveau du volcan bouclier du Morne Jacob (5.5 – 1.5 Ma), du Complexe du Carbet (1 Ma – 322 ka), du Mont Conil (550 – 190 ka) et enfin de la Montagne Pelée. (…) » Extrait du résumé de la thèse d’Aurélie GERMA : Evolution volcano-tectonique de l’île de la Martinique : arc insulaire des Petites Antilles (2008).

La configuration de l’île que nous connaissons aujourd’hui résulte des processus d’érosion et de d’unification des différents massifs volcaniques (initialement séparés) qui se sont produits au fil du temps.

Du point de vue biogéographique, l’île est située dans la Province des Petites Antilles, qui fait partie de l’Empire floral Néotropical. (UDVARDY, 1975)

 

I. LA FLORE AUTOCHTONE (octobre 2015)

I.A. LA NÉCESSITE DE CONNAITRE LA FLORE AUTOCHTONE DE MARTINIQUE

Une des missions fondamentales d’un Conservatoire Botanique (décret ministériel du 8 juillet 2004) est la connaissance de la flore autochtone, en vue de sa sauvegarde. Ainsi, le statut d’un taxon figure logiquement parmi les premiers champs à renseigner dans les bases de données.

Ces végétaux autochtones représentent le véritable patrimoine végétal d’un territoire (ce sujet a été traité en 2008 dans le Lobelia N°11). Ils sont les éléments constitutifs de la végétation originelle, dont de nombreuses stations résiduelles sont menacées de nos jours. Les plans de conservation du patrimoine végétal de la Martinique seront établis principalement autour des groupements autochtones prépondérants des écosystèmes.

Enfin, ces plantes autochtones sont à la base de nombreux autres programmes (exemples : l’évaluation des éléments rares et menacés du territoire ;  la détection des espèces exotiques potentiellement envahissantes). En particulier, la distinction des autochtones est d’importance dans le programme de sensibilisation du grand public du Conservatoire Botanique de Martinique : «Les espèces végétales d’origine caribéenne et américaine dans les pratiques traditionnelles  des Antilles françaises» (Spécialisation).

 

 

 

Les informations fournies par  la «Flore illustrée des phanérogames de Guadeloupe et de Martinique» (FOURNET, 2002) concernent  l’ensemble Guadeloupe/Martinique : 3 200 taxons au total, dont : 1 536 indigènes ; 1 262 naturalisés/cultivés ; 402 non récemment retrouvés/présence douteuse/taxon douteux. Le CONSERVATOIRE BOTANIQUE DE MARTINIQUE  a entrepris de préciser ces chiffres pour la Martinique, et d’approfondir la connaissance des végétaux autochtones de l’île.

 

 

 

 

 I.B. UNE DÉFINITION

Le terme «autochtone»  vient du grec auto =  même, et de khthôn  =  terre.                                                                                                                                                               

Selon DALAGE, METAILIE et Coll. (2000) un taxon autochtone  est «… considéré originaire du territoire biogéographique où il se trouve…». Autrement dit, une espèce est autochtone quand elle se trouve  dans son aire de dispersion naturelle et donc dans l’aire géographique où elle peut être naturellement disséminée. Les taxons retenus comme autochtones sont ceux originaires du territoire biogéographique dont fait partie la Martinique, et dans lequel  ils peuvent être naturellement disséminés.

Il est parfois difficile de savoir si telle plante est, ou non,  dans son «aire de dispersion naturelle» d’autant plus que pour certaines, l’aire de dispersion naturelle est pratiquement le monde entier. En particulier pour les espèces aujourd’hui pantropicales dont l’aire d’origine n’est pas connue, et qui ne sont pas liées à l’homme : est-il possible de savoir si elles seraient arrivées un jour «naturellement» dans notre île ? Certaines d’entre elles peuvent même être originaires des Antilles …

Selon lhypothèse du pont GAARlandia «GAAR : Greater Antilles/Aves Ridge »), la colonisation végétale originelle des Grandes Antilles et des Petites Antilles aurait pu se faire, à certaines périodes du Cénozoïque, par des migrations terrestres depuis les terres continentales d’Amérique. Au fil du temps, l’évolution de la végétation de la Martinique a été influencée par l’histoire géologique singulière des Petites Antilles. Les diaspores des végétaux étaient transportées par les oiseaux, le vent  et les ouragans,  ainsi que par les courants marins. Dans ce dernier cas, les éléments transportés pouvaient être des graines dérivantes ou des «bois flottés» qui sont des portions d’arbres (parfois même des arbres), charriés depuis les côtes d’Amérique du Sud. Les apports venaient : de l’Amérique centrale via les Grandes Antilles d’une part (la moindre et la plus ancienne) ; du Nord de l’Amérique du Sud d’autre part (la plus importante et la plus récente).

La Martinique est la plus grande île (1 080 km2) d’un seul tenant et en position médiane dans l’Archipel des Petites Antilles : elle a donc bénéficié du maximum d’apports de l’Amérique centrale et des Grandes Antilles, mais aussi du nord de l’Amérique du Sud. La topographie très accidentée (plus de la moitié de l’île présente des pentes supérieures à 20%)  fait qu’il existe une grande diversité de micro microclimats et de milieux.  Le climat tropical humide est globalement favorable au développement de formes de vie très variées (Les milieux naturels). Tous ces éléments sont à l’origine de l’exceptionnelle biodiversité de la Martinique, qui appartient à un des 34 hot spot de la biodiversité mondiale.

Cette flore (l’ensemble des végétaux) autochtone (l’adjectif indigène a longtemps été utilisé) constitue le patrimoine floristique originel de la Martinique. Une grande similitude existe entre la flore autochtone de Martinique et celle des autres îles des Petites Antilles, puisque les processus de colonisation naturelle ont concerné l’ensemble de l’archipel.

I.C. LES DIFFICULTÉS DE LA DÉTERMINATION DU STATUT DE CERTAINES PLANTES DE MARTINIQUE

Très peu de documents écrits relatifs à la végétation originelle de la Martinique  sont connus aujourd’hui. Pour plusieurs espèces, il est difficile de savoir avec certitude si  elles font partie de ce cortège originel, car les références botaniques manquent.

•Les introductions effectuées par les AmérindiensLes Amérindiens qui occupèrent l’île dès – 4 000 ans ont  introduit volontairement beaucoup d’espèces pour leur alimentation, leurs soins corporels, leur habitations et leurs rites : «…dont beaucoup (arbres fruitiers) viennent du Brésil … » (Anonyme de CARPENTRAS, 1618/1620).  Ces espèces du cortège amérindien ont les mêmes aires d’origine que les espèces du cortège originel.

De nombreuses incertitudes demeurent, malgré des recherches dont celles de l’historienne Clarissa KIMBER (1988) qui précise «However, sorting out the species they introduced from those that were naturally present in the island is often extremely difficult,».

Exemples d’espèces introduites à cette époque :

 

 

 

 

 

 

Anacardium occidentale «Noix de cajou» ;  Ananas comosus  «Ananas» ; Carica papaya «Papaye» ; Gossypium sp. «Coton »Ischnosiphon arouma «Arouman» ; Manihot esculenta «Manioc».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les informations disponibles sont imprécises à propos de Bixa orellana «Roucou», utilisé dans les teintures corporelles; le fait qu’il n’ait jamais été observé dans la végétation naturelle plaide pour une introduction humaine.

 

 

 

 

 

 

Les Amérindiens ont très probablement introduit aussi, involontairement, des taxons de végétation secondaire dont certains se sont naturalisés au cours du temps. La difficulté de statuer est augmentée par le fait que les écosystèmes ainsi que  les proportions des différents types de végétation ont été bouleversés depuis la colonisation européenne. Ces perturbations anthropiques ont eu un impact sur l’ordre des prépondérances : les espèces pionnières qui étaient beaucoup moins fréquentes à l’origine, simplement parce que les stades pionniers n’étaient pas majoritaires (puisque presque toute l’île était couverte de forêts primaires climaciques), sont en proportion inverse aujourd’hui (Les milieux naturels).  Et la création de nouveaux milieux (zones agricoles, zones urbaines)  a également favorisé l’implantation d’espèces allochtones : un exemple avec  Dichrostachys cinerea «Acacia de Saint-Domingue» originaire d’Afrique et d’Inde, d’introduction fortuite,  mais qui est parfaitement naturalisé actuellement dans les milieux très dégradés des zones moyennement humides et sèches (en particulier les anciennes parcelles agricoles).

•Les introductions du début de la colonisation européenne, de la période de l’économie de plantation et des temps modernes  Les références relatives à ces époques sont  plus nombreuses et les aires d’origine ainsi que les circonstances d’introduction sont mieux connues. Par exemple :                                                                                                                                                                                                                                                         

 Saccharum sp. «Canne à sucre»,  introduite par Christophe COLOMB au cours de son second voyage.

Musa sp. «Banane», introduite par Thomas de BERLINGA à Saint-Domingue en 1516.

Cocos nucifera «Cocotier»,  introduit dans les Antilles françaises entre 1654 et 1667 (DUTERTRE, 1667).

La période de l’économie de plantation  a été marquée par l’introduction d’espèces à cultures lucratives ainsi que d’espèces destinées à l’alimentation des esclaves. Quelques exemples :

Colocasia esculenta «Dachin», introduit dès le début de la traite négrière.

Coffea arabica «Café» introduit par Gabriel DESCLIEUX  (DE CLIEU) en 1720.

Artocarpus altilis var. non seminiferus «Arbre à pain», introduit par le Capitaine Bligh à Saint Vincent et à la Jamaïque, lors de la seconde tentative d’importation depuis la Polynésie en 1793.

 

 

 

Les introductions plus récentes concernent les productions alimentaires et artisanales, mais surtout  ornementales. Le volume et le rythme  de ces dernières ont explosé ces dernières années, jusqu’à devenir incontrôlables. Ces introductions massives aboutissent  parfois à l’expansion envahissante d’espèces, dont certaines pourraient devenir des pestes végétales : Bambusa vulgaris «Bambou» ; Funtumia elastica ;  Spathodea campanulata «Tulipier du Gabon» ; Triphasia trifolia «Petite citronnelle» ; …..(Les espèces envahissantes)

I.D. LA LISTE DES PHANÉROGAMES AUTOCHTONES DE MARTINIQUE

•Les travaux du CONSERVATOIRE BOTANIQUE DE MARTINIQUE  Cette liste a été élaborée à partir des premiers travaux présentés à la conférence qui s’est tenue à l’île de La Réunion en décembre 2010, sur les enjeux pour la conservation de la flore menacée  des collectivités françaises d’Outre-mer : «Réflexions à  propos de l’élaboration  de la liste des espèces autochtones de la Martinique»   (Elisabeth ETIFIER-CHALONO, Jean-François  BERNARD, Philippe FELDMANN, Jean-Pierre FIARD, Jacques FOURNET).

Dans leurs flores, HOWARD (1974 – 1989) et FOURNET (2002) ont intégré les données antérieures, notamment celles de DUSS (1897) et de STEHLE (1937/1949). Un relevé de ces informations a été réalisé pour chaque  taxon, et complété pour  les arbres  par les données contenues dans l’ouvrage de ROLLET et COLL (2010). Il en est ressorti  que pour plus de 800  phanérogames (sur un total de 3200)  le statut n’était pas précisé dans les flores. Ces taxons ont été répartis en différentes catégories, et plusieurs spécialistes ont participé à la détermination de leurs statuts : Philippe FELDMANN (plus spécialement les orchidées) ; Jean-Pierre FIARD (plus spécialement les arbres et les arbustes) ; Jacques FOURNET (plus spécialement les lianes, les arbustes et les herbacées).

Par la suite, les données et travaux complémentaires ont été pris en compte, notamment :

– Les travaux de Jacques FOURNET (mars 2012) : la révision de l’index floristique des Antilles françaises, pour  l’élaboration du référentiel de la flore vasculaire des Antilles Françaises (BDTXA / Tela Botanica).

– La publication de Philippe FELDMANN : « Révision et mise à jour taxonomique de la liste et de la distribution des orchidées des Petites Antilles »,  L’Orchidophile n° 193, juin 2012.

– Les informations relatives aux distributions contenues dans deux bases de données, et qui ont permis de confirmer les hypothèses de statuts : Catalogue of seed  plants of the West Indies (Smithsonian Institution / National Museum of Natural History, 2012)   ; Plants of Saint Lucia.                     

Enfin ont été intégrées les espèces récoltées jadis à la Martinique (avec mention  de collection d’herbier), même si nombre d’entre elles n’ont pas été retrouvées récemment.                                                                        

•Une liste et des effectifs en évolution La liste des phanérogames autochtones de Martinique évoluera dans le futur, tant pour les noms des plantes que pour les statuts et les catégories de plantes.

Les catégories de plantes correspondent, le plus souvent, aux descriptions de FOURNET (2002).

Pour les arbres, les références sont les dimensions citées par ROLLET (2010). Il faut garder à l’esprit que nombre d’individus relictuels observés de nos jours n’ont peut être pas atteint leur taille optimale, faute de conditions écologiques favorables. Les ligneux de taille intermédiaire (buissons, arbustes, arbrisseaux) sont parfois difficiles à classer.

La nomenclature est sujette à des modifications, dont un certain nombre ne font pas l’unanimité parmi les spécialistes. La constitution du référentiel taxonomique national (TAXREF / INPN) montre qu’il existe des problèmes nomenclaturaux non encore résolus par les systématiciens.

Quelques sources de renseignements:                                                                                                                                        

Catalogue of seed  plants of the West Indies (Smithsonian Institution / National Museum of Natural History, 2012)

TROPICOS : Nomenclatural and Specimen Database (Missouri Botanical Garden)

ITIS : Integrated Taxonomic Information System

IPNI: International Plant Names Index

Par commodité, la liste des phanérogames  autochtones du CONSERVATOIRE BOTANIQUE DE MARTINIQUE est présentée avec les noms de la flore de FOURNET (2002) ; les principales mises en synonymie sont signalées ainsi que les cas complexes et les nécessités de vérifications.  

De nombreux cas problématiques restent à clarifier, car les références et les descriptions manquent pour plusieurs espèces. En effet, certaines collections d’herbiers de référence ont disparu (par exemples : naufrage du navire qui transportait les collections de Charles PLUMIER au XVIIème siècle ; incendie de l’Herbier de BERLIN où étaient déposées les collections du Père DUSS, lors des bombardements durand la Seconde Guerre Mondiale). Quelques  taxons ont été décrits à partir d’échantillon en mauvais état, ou d’échantillon stérile,  et parfois même à partir de dessin [par exemple  Comocladia martinicensis qui a été décrit par Claude SASTRE en 1998, à partir d’un échantillon récolté par PLEE à la Martinique au début du XIXème siècle (Plee 296, P), mais dont les inflorescences, les fleurs et les fruits sont inconnus]. Il faut également prendre en compte que l’évolution est constamment en marche, et que cette évolution s’accompagne (particulièrement dans les îles volcaniques) d’adaptations, d’hybridations et de spéciations. Les sous espèces, variétés ou écotypes qui se distingueront par la suite, sur des temps généralement longs,  sont actuellement difficiles à déterminer.

Les effectifs vont évoluer, tout d’abord à cause des quelques doublons générés par les mises en synonymie. Par ailleurs, les recherches bibliographiques ainsi que les inventaires (passés ou actuels) ne sont pas exhaustifs, et il existe aujourd’hui encore un sérieux déficit de prospections et d’observations in situ.  Par conséquent il est fort possible que des plantes très discrètes (ou cantonnées à des stations inaccessibles) aient échappées jusqu’à nos jours aux recensements, mais soient trouvées par la suite. Les prospections futures : d’une part amélioreront les connaissances  botaniques et écologiques des espèces ;  d’autre part favoriseront des découvertes. Dans la liste des phanérogames, les taxons nouvellement cités pour la Martinique sont signalés. 

Ces travaux sont donc à complémenter  par des vérifications de distributions géographiques, des compléments  de descriptions, des déterminations de populations (Coccoloba sp. ; Eugenia sp. ) .

Des analyses plus fines sont à mener , à l’instar des travaux existants à l’échelle de la Caraïbe : abondance des familles, des genres et des formes biologiques au sein des écosystèmes ; affinités phytogéographiques; comparaisons avec les îles voisines ; …